« Tragédie du bureau » – la nouvelle derrière le court-métrage « Antinomia »

Avant-propos: coulisse exclusive de ce site, voici la petite nouvelle écrite fin février 2012, Tragédie du bureau, qui sera adaptée ensuite pour le scénario du film Antinomia, le court-métrage de Barthélemy Thumerelle.

"TRAGÉDIE DU BUREAU"

Je suis certain qu’elle va passer par là. Je vais l’attendre. Lorsqu’elle viendra récupérer sa voiture, elle prendra sa clef, cette clef accrochée derrière moi sur le mur. Alors je lui dirai tout.

Il y a trop longtemps que je l’aime. Dix ans. Douze ans. En fait, je l’ai toujours aimée. Elle fait partie de moi, de chacun mes souvenirs qui comptent. Il est étrange de ressentir une impression d’une telle force. Moi, je ne saurai me l’expliquer. C’est venu comme par miracle, et le trouble du premier moment ne m’a plus lâché. Je vais tout lui dire.

Il est midi et demi. C’est l’heure. Elle déjeune toujours à l’extérieur. Elle prend sa voiture. Mes nerfs sont tendus comme les cordes d’un arc. J’entends soudain des pas dans le couloir. Des talons claquent sur le sol. La porte s’ouvre doucement.

Cela fait une heure que je l’attends, et malgré ma fatigue, je sais que c’est elle.  En m’apercevant, elle s’étonne et sourit. « Auguste ? Mais qu’est-ce que tu fais dans mon bureau ? ». Je n’ose pas vraiment répondre, ma langue fourche à chaque mot : « Je…et bien…je me disais que… ». « Tu as un dossier à me présenter ? » m’interrompt-elle. J’ai l’impression d’avoir affaire à un ange. Elle pose un document sur le bureau et ses longs cheveux roux caressent gracieusement le dessus.

Je suis à présent directeur des ressources humaines et, il y a un mois, Elisabeth a été promue du rang de chef de projet. Dans notre entreprise de construction de meubles, ce poste vaut autant que le mien. « Pas vraiment » répond-je. J’essaie de redresser mon cou. Je cherche à me lancer, courageusement. « En fait, voilà Elisabeth, je voulais te dire, que, depuis toute ses années où l’on a travaillé ensemble…côte à côte…je me… ».

Évidemment, son portable sonne. Il sonne très fort, tellement fort que je me bouche les oreilles pour ne pas devenir sourd. Elle regarde sur l’écran la personne, et elle a l’air de l’apprécier puisqu’elle sourit en décrochant. « Allo Antoine ?…Oui. ». Je commence à trouver cela étrange, car je ne connais aucun Antoine qui travaille dans notre usine. Qui peut bien-t-il être pour me déranger dans un moment aussi solennel que celui-ci. La voilà qui commence à parler avec son mystérieux interlocuteur : « Oui… Mais non ne t’inquiète pas…Mais oui…oui, je te le promets…Je serai là…oui évidemment…Allez salut, je t’aime bisous. »

Et voilà. Le mot en trop. Mes doigts puis tout mon corps se mettent violemment à trembler. Je mets ma main dans ma poche et sens mon arme à feu venir vers moi. Mais avant de commettre l’irréparable, je balbutie à la femme qui raccroche le portable : « C’est…c’est…c’était qui ? ». Elle me regarda d’un air consterné, puis elle répond d’un ton neutre : « Mon petit ami ». Et là, il est déjà trop tard. Mon geste part tout seul. Mon arme se braque vers elle, et la femme ne peut même pas crier. Une balle se loge en plein milieu de sa tête. Le corps tombe d’un coup. Puis je vois du sang couler sur le sol de ce troisième étage de l’établissement. Une personne apparaît devant la porte. Elle crie et part en courant. C’est trop tard, il me faut fuir.

J’évite le cadavre devant l’entrée, et je pénètre dans le couloir. Un homme très costaud, un inconnu, me barre la route. Je reprends mon arme et lui tire entre les deux yeux. Il s’effondre à mon passage. J’arrive dans le hall des ascenseurs, quand je vois soudainement quatre policiers : ils se lancent à ma poursuite. Ils ont fait très vite je trouve.

Auguste ! Moi je panique et continue de courir dans le couloir du troisième étage. Je pousse ceux qui croisent mon chemin avec tellement de force qu’ils s’expulsent en cassant presque les murs. Auguste ? Les policiers sont toujours à mes trousses ! J’aperçois enfin l’escalier de secours. Je me jette dedans. Cet escalier semble géant. La cage se met à bouger, à trembler. J’ai toujours mon arme bien en main. Soudain je m’aperçois de quelque chose d’étrange.  Je ne me souviens pas avoir pris une arme. Comment a-t-elle fait pour arriver dans ma poche ? De plus, je n’ai jamais appris à tirer. Les policiers me poursuivent encore, bien que cet escalier bouge de plus en plus fortement, peut-être est-ce parce qu’ils sont de plus en plus nombreux. J’entends une voix qui crie dans la cage d’escalier, mais étrangement, avec une voix douce. « Auguste ? ».

Soudain, rien. Une étoile brillante m’explose les yeux. Elle est entourée par du blanc partout. Que se passe-t-il ? Peut-être un policier qui m’a tiré dans le dos, et me voilà au paradis, ou en enfer. J’aperçois, comme volant au-dessus de moi, le visage d’Elisabeth. Je commence à comprendre. Je me suis fait tuer, et me voilà dans le monde des morts, mais pour me punir, on me montre l’image de la femme que j’aimais et que j’ai néanmoins tuée. La voilà qui me regarde avec des grands yeux étonnées et qui me parle : « Auguste, tu es sûr que ça va ? ». Je distingue mieux cette grosse lumière qui ressemble plutôt à une lampe de plafond. Je réponds : « Elisabeth, je suis désolé pour ce que je t’ai fait. » Mais elle rigole et me dit : « De quoi ? Oh mais ce n’est pas grave ça. Cela peut arriver à tout le monde de s’endormir sur le bureau d’un collègue ! ». « Quoi ? » dis-je en me redressant. « J’ai beau te secouer et t’appeler, tu as mis plusieurs minutes à te réveiller, tu devrais dormir plus. » Je suis honteux. Je m’excuse mille fois et quitte vite son bureau. Je prends ma voiture et rentre chez moi. Ce n’est qu’en arrivant que je me rappelle pourquoi j’avais attendu dans son bureau. Mais après la honte que j’ai eu, sans parler du fait que j’ai quand même fait un cauchemar dans lequel je me voyais en train de la tuer, je me suis dit que finalement, il valait mieux ne jamais plus aimer, que de lui avouer les sentiments que je ressens pour elle.

Barthélemy Thumerelle, 28 février 2012

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