La musique de film existe-t-elle en dehors du film?

Avant-propos:
Je réponds ici à la question posée: la musique de film existe-t-elle en dehors du film? Autrement dit, peut-on découvrir et savourer des musiques de films, alors même que nous ne connaissons pas le film? Je précise que ma réponse portera principalement sur des musiques de films semblables à la musique dite "classique" (on parle de musiques orchestrales, de créations pour piano ou pour quelques instruments, on ne parle pas de musique électronique, de rock, de musiques préexistantes etc.). J'ajoute que cette réponse est valable également à certaines musiques de jeux vidéos, ou encore de séries. Le talent n'appartient pas à un cercle fermé.

La musique de film est un genre musical encore trop sous-estimé chez bon nombre de cinéphiles en herbe et de mélomanes rigides. Pour certains, la musique de film est considérée comme une « bande-son », une piste sonore ajoutée au montage pour plusieurs raisons: rythmer une séquence, renforcer son impact émotionnel, etc.

La musique de film est, il est vrai, conçue pour servir le film. À ce titre d’ailleurs, le compositeur est au service du réalisateur du film, et ne peut imposer ses idées sans l’accord de ce dernier.

Pourtant, le compositeur a aussi le rare privilège d’être considéré comme un auteur à part entière, et comme le scénariste ou le réalisateur, il touche des droits d’auteurs. Ce n’est pas le cas des autres membres de l’équipe d’un film. 

Alors pourquoi penser que la musique du film n’est là que pour servir un film?

Pour une grande communauté, la musique de film est tout simplement un sous-genre de la musique classique contemporaine. La musique de film peut donc s’écouter et se laisser apprécier sans nécessiter une image pour justifier son existence.

Il est d’ailleurs bon de rappeler que le premier compositeur de musique de film n’est autre que Camille Saint-Saëns, compositeur éminemment connu pour ses œuvres classiques, qui s’attela en 1908 à la partition du film « l’Assassinat du Duc de Guise ».

Il existe des raisons pour que les amateurs de films perçoivent la musique comme une simple bande-son qui ne s’écoute pas en dehors du film. Ils font par exemple référence aux musiques composées selon la loi de la « temp music ».

Qu’est-ce que la temp music? On pourrait traduire cette notion hollywoodienne par « musique temporaire ». Pour satisfaire les spectateurs des premières projections du film pendant la phase de postproduction, ainsi que pour aider à la mise-en-scène du montage, les réalisateurs, producteurs et monteurs ajoutent à leurs séquences des musiques provisoires, qui permettent de donner une idée du montage final alors que le compositeur du film n’a lui toujours pas écrit ses partitions (parfois il n’est même pas encore embauché par la production). Ces musiques provisoires sont empruntées à des films ou séries qui souvent, ont connu un succès récent.

Ci-dessus, une très bonne vidéo provenant de la superbe chaîne « Every frame a painting » qui donne plusieurs exemples de « temp music » dans les films.

Le vrai compositeur doit ensuite remplacer la bande-son par une création originale. Problème : une fois que le réalisateur s’est habitué à une certaine musique préexistante, il refuse de goûter aux nouvelles saveurs, et demande à son compositeur d’imiter la temp music. Et bien que je reconnaisse le côté pratique, cette temp music prend une telle ampleur que cela devient un cancer pour la créativité. De plus en plus fréquemment, les compositeurs se pompent mutuellement, souvent malgré eux, pour satisfaire les envies des producteurs et réalisateurs, en répondant à l’urgence de finir les films dans des temps de plus en plus courts.

Le second souci est tout simplement que les belles musiques de films qui sortent chaque année sont ensevelies sous une multitude de musiques insignifiantes, composés par des compositeurs sans talent, et mis-en-scène par des réalisateurs souvent dépourvus de culture musicale. Il faut aussi ajouter à ça le problème des producteurs ou réalisateurs qui préfèrent souvent placer la musique en arrière-plan, histoire de ne pas gêner la compréhension du spectateur. Mais nous n’aimons pas le cinéma pour ces gens-là.

L’immense Steven Spielberg et le légendaire John Williams composant la musique d’E.T., au début des années 80.

La musique doit forcer les autres éléments sonores (voix, bruitages…) à se faire entendre. Tous les grands films ont leurs grandes musiques, et rares sont les chefs d’œuvre qui échappent à la règle. Chaque grand réalisateur forme un binôme avec un grand compositeur. Bernard Herrmann et Alfred Hitchcock, Georges Delerue et François Truffaut, John Williams et Steven Spielberg, ou encore Hans Zimmer et Christopher Nolan pour ne citer que quelques exemples.

La musique de film peut varier entre une subtile intimité et un élan de générosité, mais elle ne doit jamais être transparente.

Et parce que les grandes musiques ne nous laissent pas indifférents, elle peuvent exister en dehors du film. Pour n’en citer qu’une, la musique du Fabuleux Destin d’Amélie Poulain, la Valse d’Amélie de Yann Tiersen symbolise désormais Paris. Il suffit d’écouter cette valse pour penser à Paris, et même ceux qui n’ont pas vu le film connaissent cette mélodie.

Alors oui, la musique de film existe en elle-même. Le cinéma est son père, la musique dite « savante » est sa mère, c’est un genre fédérateur de deux arts. Les rigides qui différencient la musique de film de la musique classique sont ceux qui sacrent les siècles passés au détriment de l’ère contemporaine. Car les compositeurs de musiques de films, quand on discerne le mémorable du banale, peuvent se montrer tout aussi virtuoses que les compositeurs classiques. Et je prends les paris que d’ici 100 ans, John Williams, Georges Delerue, James Horner ou encore Howard Shore seront considérés au même titre que Wagner, Berlioz et Vivaldi, et les grandes musiques de films ne souffriront plus d’aucun mépris.

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