La nouvelle est écrite par Barthélemy Thumerelle et les illustrations sont signées par la dessinatrice Zoé Schmit.
« HAUT LES MAINS ! »
Des murmures… On entend des « perche ! » se susurrer de si, de là. Jusqu’ici, l’acteur principal et ses deux complices continuent leur interprétation, l’équipe retient son souffle, les moteurs tournent toujours. La scripte fait un geste de la main en direction de l’équipe son. La troisième assistante essaie de se faire voir par Mike, le perchman.
Mike semble dans sa bulle. Personne n’arrive à le faire réagir. Pourtant son bras flanche toujours un peu plus, et le micro au bout de sa perche est maintenant bien trop visible dans le plan du cadreur. « Perche ! » s’écrie le chef opérateur, un brin énervé, alors qu’il regarde son plan sur le combo, assis à côté du réalisateur. Mike réalise et tente de redresser sa perche si instinctivement qu’il assomme à moitié le stagiaire décors assis un peu trop près derrière lui. L’acteur principale semble déconcentré ; il se redresse et arrête de jouer : « Excusez-moi » dit-il. « Coupez ! » envoie le réalisateur. « C’est coupé » résonne le cadreur. Tout le monde semble regarder Mike. Sauf peut-être le stagiaire décors qui est trop occupé à se frotter la tête. « Misère de misère ! » gémit Mike au plus profond de lui-même. Ce n’est vraiment pas là qu’il faut se faire remarquer ! Il a besoin de nombreuses heures à valider avant de pouvoir espérer toucher son salaire d’intermittent du spectacle, et sans ça, la paie des six semaines de tournage risque d’être bien maigre pour nourrir ses deux jeunes enfants. Surtout qu’il n’a pas de contrats pour d’autres tournages cette année, alors ce n’est pas le moment d’avoir une mauvaise réputation ! Le perchman ne doit jamais être celui qui pose problème lors d’une prise. Toujours prêt dans les temps, il se prépare discrètement, connaît les dialogues par cœur, a pensé ses gestes à l’avance. « Concentre-toi Mike, plus qu’une bonne prise et on file à table », encourage Joe, l’ingénieur du son, son coéquipier principal. A eux deux, ils forment l’essentiel de l’équipe son du tournage.
« On a 15 minutes de retard, reprend la première assistante, on la refait tout de suite. »
« Allez les gars, en piste ! » double le réalisateur d’un ton vif, pour redonner un peu d’élan à son équipe fatiguée.
Les maquilleuses s’empressent de pomponner légèrement le comédien principal avant de quitter rapidement le plateau. Pendant ce temps, Mike se ressaisit. « 3 acteurs, 32 répliques, 1 cadre ‘caméra à l’épaule’ à éviter ».
Mike interpelle le cadreur : « Max, tu peux me dire ? ».
Max regarde dans l’œilleton de la caméra. « Vas-y ».
Mike monte sa perche à bout de bras, puis doucement, incline le micro vers le sol, et lui fait perdre lentement en attitude.
« Stop, t’es dans le champ ! » signale très vite Max qui a l’œil rivé sur son petit écran. La perche vient d’y apparaître à la bordure en haut du cadre. « En effet » pense le perchman qui sentait déjà trop ses bras fatigués. Mike a vraiment peu de marge pour ce cadre. Il doit rester les cinq minutes de prise en gardant les bras les plus tendus possibles. Le moindre fléchissement, c’est une perche qui entre dans le champ de la caméra !
« Tout le monde est prêt ? Silence s’il vous plaît » ordonne la première assistante, toujours une main sur l’horloge. Le moteur est lancé, la nouvelle prise annoncée et clapée, voilà le réalisateur qui dit en douceur et dans le plus grand silence sur le plateau : « Action ! ».
On frappe à la porte du décor. Mike a déjà prévu le coup et a commencé la prise en pointant son microphone vers la porte. Hop ! Revirement, microphone cette fois-ci vers l’acteur principale qui est déjà dans la pièce. « Entrez ! » dit l’acteur. C’est parti, deux acteurs arrivent dans le champ de la caméra. Le dialogue commence. C’est une scène de dispute, les répliques se répondent du tac au tac, tel une balle sur une table de ping-pong ! Ça va très vite, Mike doit sans cesse incliner l’angle de son microphone pour ne pas désaturer les voix. En effet, si une voix n’est pas captée avec le micro en direction de la bouche, toutes les fréquences du son ne parviennent pas au micro canon, et alors le son est amoché, les détails sont moindres. C’est là que le perchman, en véritable danseur, doit chorégraphier ses gestes avec une grande fluidité. Ne pas être trop brutale dans ses mouvements, le micro ne doit rien cogner, ne pas sentir de courant d’air. Mike doit aussi faire attention à son câble qui relie le micro à l’enregistreur/mixette, de l’ingénieur du son. Il lui faut être au plus près des bouches des acteurs, ne pas rater un début de réplique, et tout ça sans entrer dans le cadre du cadreur évidemment. Mike sent ses bras fatigués, mais il se motive en pensant à ce repas qui arrive. Dans sa tête, il se récite les répliques du scénario avec quelques centièmes de secondes d’avance sur les comédiens, afin de bien prévoir les fins de répliques et les changements d’acteurs.
Déjà quatre minutes que Mike soulève la perche, la prise se déroule bien cette fois-ci. Le moment où le comédien principal va crier arrive. Mike relève le micro de cinquante centimètres pour éviter la saturation du son, il s’arrête juste avant que la perche ne frôle un projecteur de plafond. « ALORS C’EST ÇA ! MOI J’EN AI MARRE ! J’ME CASSE ! » crie le comédien. Tout est bon, aucune saturation n’a été entendue au casque ! Mike s’en réjouit. Le comédien marche et claque la porte du décor d’un geste colérique. Mike est resté en hauteur, il a juste incliné le micro pour avoir le claquement de porte dans l’axe de son microphone.
« Coupez ! Elle est bonne ! » s’exclame, ravi, le réalisateur !
« C’est coupé ! » répond le cadreur.
La première assistante brandit son talkie-walkie et l’amène à sa bouche « C’est coupé, merci, pause déjeuner ! ».
Toute l’équipe sort de son silence et un bruit de fond joyeux se fait entendre sur le plateau. Chaque équipe technique range son matériel avant d’aller déjeuner. Mike baisse sa perche. Il débranche le câble XLR de son micro canon, l’embobine avec une technique pro pour éviter d’abimer les fils dans le câble, et va le poser à côté de Joe. Il décroche ensuite son micro canon, et le place dans sa boîte de protection. Ne reste plus qu’à réduire la perche et de la cacher dans un endroit où elle ne peut pas faire trébucher quelqu’un.
Joe aussi a fini de ranger son matériel. Tous deux se retrouvent en dehors du studio de tournage et prennent le chemin de la salle de repas ! Joe commence déjà à prévoir avec lui ce qu’il va se passer l’après-midi. Mais la discussion est légère car, avant tout, c’est l’heure du déjeuner ! Et c’est une pause bien méritée pour Mike, après quatre heures, ce matin, à être haut les mains.
Barthélemy Thumerelle, 26 octobre 2017