Le Choix du Futur est une nouvelle écrite par Barthélemy Thumerelle lors d’une après-midi du printemps 2013
LE CHOIX DU FUTUR
On lui a dit que ce voyage ne ressemblerait à aucun autre. Il serait le premier à l’accomplir. Il allait découvrir un morceau d’Univers jusqu’alors inconnu à l’homme. Lui, le capitaine Robert Stevens, allait être un pionnier. Cela ne lui faisait pas peur. Il avait l’habitude des missions difficiles. Ce qui était effrayant, c’est ce qu’on lui avait dit pour après… Lorsqu’il allait revenir sur Terre, s’il revenait sur Terre, des milliers d’années se seraient écoulées. Sa famille, ses amis, plus personne ne serait vivant. Et pourtant il était là, seul dans sa cabine.
Il entendait le vrombissement des moteurs. Dans une minute, il allait décoller. A travers son casque, ses joues commençaient légèrement à trembler. Le stress, sans doute. Il tapota alors quelques boutons sur le tableau de communication. Une voix survint dans le cockpit étroit : « Ici la centrale. Un problème Stevens ? ». Robert reconnut la voix roque du chef de lancement, Johnson, un homme en qui Stevens avait beaucoup de respect. « Non je me demandais, quand aurais-je l’autorisation de décoller ? » demanda Robert. « Patience Stevens. On a un léger retard. Quelques minutes. Nous vérifions juste que tout fonctionne parfaitement ». Robert Stevens coupa la communication sans prendre le temps de dire quelque chose de plus. Il regarda la vitre du cockpit. C’était un vaisseau de la toute nouvelle génération, capable de s’alimenter par énergie solaire qu’un moteur transformerait ensuite en Solairum, une énergie équivalente au Deutérium traditionnel. Le Solairum avait été imaginé pour la première fois à la fin du 24ème siècle, mais ce n’est qu’au début du siècle suivant qu’on pensa à s’en servir pour les moteurs spatiaux. Robert connaissait tout cela par cœur, on lui avait enseigné en dix ans des milliards de connaissances, au point que l’homme pouvait presque reconstruire tout seul ce vaisseau.
Pourtant, en cette minute, juste avant le décollage qui modifierai à jamais sa vie, il ne pensait ni à ses techniques de pilotages, ni à sa mission. Non, il était en train de se souvenir de quelqu’un qu’il n’avait plus vu depuis longtemps, très longtemps.
En fait, Robert Stevens n’avait pas été choisi seulement pour ses incroyables compétences en pilotages de vaisseau et d’ingénieur. L’Académie le nomma aussi, parce qu’il n’avait que peu de famille (un frère tout au plus), pas de femme, ni d’enfant, et ses amis étaient en grande majorité ses collègues. Néanmoins, assez étrangement, quelques secondes avant le départ vers d’autres mondes, il n’avait en tête qu’une personne. Il s’agissait d’une jeune fille qu’il avait fréquentée quelques mois, lors de son voyage en Europe, dans le début de sa seizième année. A vrai dire, dans ce monde de commerces et d’intérêts, où le mot « amour » n’existe plus depuis des siècles, cette jeune fille qui devait être maintenant une femme, était plus qu’un simple souvenir. C’était pour lui un regret. Il l’avait toujours aimé. Certes, ce n’était pas avec elle qu’il allait faire un grand pas pour la science et l’Humanité, et pourtant cette jeune femme semblait tout comprendre d’une vie heureuse, et chacun de ses regards brillaient plus encore que les étoiles de la galaxie.
Et si le père de Robert ne l’avait pas forcé à entrer dans l’UASA (Université Académique de Science Astronomique), il serait peut-être encore dans les bras d’Amalia, à parler de tout, de rien.
L’astronaute pouvait encore changer son destin. Mais il fallait choisir, et vite. Rentrer dans l’histoire de l’humanité ou sortir du vaisseau et devenir un humain, un vrai, doté de sentiments. C’est alors que Robert Stevens pensa : « Que faut-il choisir entre une aventure sans limite et l’amour ? ». Il se redressa, une idée lui arriva comme une étoile filante aussi bien par la vitesse que par le fait que cette idée éclaira avec puissance ses pensées. « Tout est prêt Stevens ! Vous allez décoller » interrompit la voix de Johnson. Mais Robert ne l’écoutait déjà plus. Il avait le pouvoir de désobéir à l’ordinateur de bord qui commençait à faire décoller le vaisseau. Il entra avec une rapidité phénoménale des codes sur le panneau tactile. Malgré les efforts de Robert, l’intelligence artificielle de l’ordinateur de bord tenait bon. L’astronaute commençait à devenir fou et se mit à taper sur son écran. La voix de Johnson cria alors : « Stevens !! Non mais vous pétez un câble ou quoi ?? ». C’était la phrase que Johnson n’aurait pas due prononcer, car effectivement Robert n’avait pas encore pensé à « péter » un câble. Or, il se rappela qu’en coupant le câble qui conduit le Solairum, le vaisseau s’arrêterait d’un coup, sans exploser. En un quart de seconde, le « Câble S » se brisa. Le vaisseau s’était élevé d’un mètre de hauteur pour chauffer les moteurs de propulsion et celui-ci retomba violemment sur la plateforme de lancement.
L’ordinateur de bord étant à présent hors service, Robert ouvrit manuellement la porte menant vers l’extérieur. Puis, sans attendre, il se mit à courir, fuir, disparaître et on ne le revit plus jamais dans la région guyanaise. Alors pourquoi cette folie soudaine qui brisa d’un coup l’incroyable carrière du célèbre ingénieur Robert Stevens ? Que pouvait être cette idée étoile filante ?
Cette idée, la voici : cette aventure sans limite ne donne aucune idée de ce qu’est l’amour. Son rêve de la revoir serait devenu un virus dans son esprit jusqu’à son dernier souffle. Et puis, Robert Stevens s’est dit que, de toute manière, bien qu’il ne la connaissait pas si bien, l’Amour est une aventure sans limite… Cela vaut toutes les ambitions de l’Univers, que de se risquer à l’explorer.
Barthélemy Thumerelle, 11 mars 2013